Stanislav Tarassov: «L’organisation du référendum concernant l’indépendance du Kurdistan irakien est incertaine»

A la veille du référendum concernant l’indépendance du Kurdistan irakien prévu le 25 septembre, la capitale de cette région non encore indépendante est devenue « la Mecque politique » du Proche Orient. De nombreuses délégations étrangères  se rendent à Erbil pour discuter avec les dirigeants locaux des perspectives du développement  de la situation non seulement en Irak mais dans toute la région. Effectivement, la situation évolue rapidement et de manière très significative  au point de presque faire oublier la lutte contre DAECH (organisation dont l’activité est interdite en Fédération de Russie). Donc le facteur de désagrégation – après celle de la Lybie – d’un autre Etat arabe conduira fatalement à la formation de nouveaux centres de force qui ne seront certainement pas capables de collaborer dans le futur.

De plus n’oublions pas que pratiquement tous les Etats du Proche Orient ont été créé, arbitrairement, à l’époque coloniale. C’est la raison pour laquelle l’apparition d’un Kurdistan indépendant peut avoir un effet domino et faire crouler toute la construction géopolitique actuelle. Personne ne conteste plus cela, les questions concernent les détails. Parmi les Etats où vivent les Kurdes – la Turquie, l’Iran, la Syrie – seuls les kurdes d’Irak jouissent d’une réelle autonomie avec les pleins attributs  gouvernementaux. Là, ils peuvent réaliser leur but historique fondamental qui tôt ou tard imposera le projet de « Grand Kurdistan ».

Il ne faut pas non plus exclure le fait que les Kurdes de Syrie réussissent à obtenir leur autonomie. A la suite de l’Irak , le mouvement  conduira à stimuler  des changements dans le statut des kurdes de Turquie et d’Iran. Ainsi se conclura une chaîne d’évènements, étonnante et paradoxale, commencés en 2011 avec « le printemps arabe », le renforcement de l’islam radical, l’apparition de DAECH (organisation dont l’activité est interdite en Féd de Russie), le projet d’institution d’un  khalifat,  l’émergence potentielle sur la scène politique d’un projet de Kurdistan en Turquie, Syrie, Iran, doté de structures étatiques kurdes. C’est-à-dire que, si à l’heure actuelle nous avons affaire à quelques Etats turks : Turquie, le Nord de Chypre, Azerbaïdjan et quelques Etats d’Asie centrale,  dans le futur peuvent émerger quelques pays kurdes.

Et il sera même possible de voir deux Arménies, l’une en Transcaucasie et l’autre au Proche Orient. Ce n’est pas pour rien qu’ Ilham Aliev, président de l’Azerbaïdjan, déclare qu’ « il ne tolérera pas l’apparition d’un deuxième Etat arménien dans la région » et Regep Taip Erdogan, président de la Turquie, dit qu’ « il n’admettra pas la formation en Syrie d’un Etat kurde de plus ». Aliev, se référant une fois de plus à des sources non nommées, a souligné que « on l’enjoint à reconnaître l’indépendance  du Nagorno-Karabakh » puis Erdogan , au cours de ses prises de paroles,  a évoqué « la dislocation du pays ».

Ankara qui a besoin du soutien de ses alliés de l’OTAN et, se trouvant sous la pression du Parti des travailleurs kurdes (PKK), du parti « Union démocratique » (PYD) et de DAECH (organisation dont l’activité est interdite en F. de R), se retrouve devant le fait que certains membres de l’OTAN, directement ou indirectement, soutiennent ces mouvements comme le constate le journal Cumhuriyet. Se référant à de nombreux experts turcs bien informés, il pronostique que « la région que nous nommons Proche Orient a, de fait, fait émerger un Etat kurde indépendant » et qu’il faut  réétudier   le Traité de Sèvres de 1920 qui stipulait  la création d’un Grand Etat d’Arménie et « admettait seulement la formation d’un Etat kurde, indépendant de la Turquie ».

En outre, Cumhuryiet estime que « Ankara, à plus ou moins brève échéance, n’aura d’autre alternative que de reconnaître  un Kurdistan indépendant , de consentir à une résolution de la question arménienne » et l’Azerbaïdjan « aller vers la reconnaissance de l’indépendance du Nagorno-Karabakh ». Le drame dans la situation de la Turquie et de l’Azerbaïdjan réside dans le fait que les menaces envers leurs gouvernements ne viennent pas du nord, pas de la Russie mais du sud auprès duquel ils ont par tradition cherché des alliés. Pour l’instant tous les regards sont concentrés sur Erbil, sur sa capacité ou non de réaliser son plan d’autodétermination.

Font pression sur lui pour le report du référendum à mars prochain les Etats-Unis, « après avoir défait DAECH (organisation dont l’activité est interdite enRussie) »  ainsi que Bagdad qui ne souhaite pas de divorce, la Turquie qui est à deux doigts de conclure une alliance politico-militaire avec l’Iran contre le mouvement kurde et quelques Etats arabes de la région. Cela oblige les kurdes à manœuvrer.

Ainsi, le proche conseiller de Massoud Barzani, président du Kurdistan, a annoncé que « ce plan ne peut être modifié que si on  donne  aux kurdes de solides garanties internationales sur  une date concrète  pour l’ organisation du vote concernant son indépendance ». En accord avec cette déclaration « Bagdad, Téhéran, Ankara et Washington doivent être les partenaires de cette transaction qui doit également inclure que les parties signataires accepteront les résultats du référendum.

On le voit : Moscou ne figure pas dans la liste bien que d’après les résultats des consultations qui se sont déroulées à Moscou entre le  vice ministre des Affaires Etrangères et représentant particulier du président russe aux affaires du Proche Orient et des Pays africains   Mikhail Bogdanov et son homologue de la République turque Sedate Onal « la Russie et la Turquie ont confirmé vouloir conserver l’unité, la souveraineté et l’intégralité territoriale de l’Irak. Est soulignée l’importance de résoudre les problèmes internes par les irakiens eux-même dans le cadre d’un dialogue  respectueux des intérêts de toutes les composantes  ethno-confessionelles de la société irakienne ».

Encore quelques nuances importantes. Mevlut Tavutoglü, responsable du Ministère des Affaires Etrangères de Turquie, allé récemment à Erbil, dans une conversation avec Barzani a annoncé que « Ankara considérait que le choix de la date pour les élections concernant l’indépendance du Kurdistan ne convenait pas ». Devlet Bahceli,  leader du parti turc d’opposition , Parti du mouvement national (PND) a vu là un soutien masqué d’Ankara « pour la préparation par Barzani d’un référendum y inclus dans certaines villes turkmènes d’Irak »,  ce qui à son avis « s’avère, en son genre, une répétition pour la création d’un Kurdistan».

Dans le même temps, de nombreux experts turcs estiment que « même si une majorité de participants au référendum voteront pour, cela ne signifiera pas que les kurdes proclameront  la création d’un Etat propre ». Ils pensent que Erbil compte « recevoir appui  dans les pourparlers pour son autodétermination vis-à-vis de Bagdad de manière à y diminuer l’influence de l’Iran », ce en quoi est objectivement  intéressée Ankara. Pour l’instant le chef de l’autonomie kurde reçoit de nombreux diplomates étrangers, explique son point de vue, essaie de s’assurer un appui de l’étranger. En un mot il s’agit d’un grand jeu aux combinaisons multiples qui continue et s’approche d’une résolution intermédiaire.

26 août 2017,

Précisions sur: Regnum